• Cézanne, un destin hors du commun.

    Tout comme Manet, Cézanne  est en marge du mouvement impressionniste. De ses expériences parisiennes, il n’a rencontré qu’une profonde incompréhension, du public, des critiques et de la plupart de ses amis peintres au point qu’il finit par se retirer dans la campagne aixoise dès 1884 pour accomplir un travail solitaire abandonnant le projet de percer à Paris malgré quelques fréquents mais assez brefs retour vers Paris.

    Cézanne est un exemple de persévérance et d’opiniâtreté, conscient qu’il avait un rôle à jouer dans la peinture.  Les échecs accumulés ne font que renforcer sa détermination. ● Echecs au concours d’entrée à l’école des Beaux-arts  ● Encouragées par Camille Pissarro, ses deux participations aux expositions impressionnistes (1874 & 77) sont décevantes  ● Ses œuvres à une exception près (1882) sont régulièrement refusées aux différents Salons.  ● Pour couronner le tout, son amitié avec Zola est rompue définitivement avec la publication en 1886 de « L’œuvre » qui fait la description d’un peintre raté.

    Cézanne photographié vers 1861

    Cézanne garde sur Paris un lien fort avec Camille Pissarro qu’il rencontre dès 1861 à l’Académie Charles Suisse un lieu de travail pour les artistes peu argentés. Une complicité entre les deux artistes va durer de 1865 à 1885. Pissarro initie Cézanne son cadet de neuf ans à la peinture de plein air et Cézanne le jeune élève apporte à Pissarro le sens de la construction de l'espace pictural. Jamais Pissarro n'a douté de Cézanne et il fut bien le seul à percevoir sa valeur dès ses débuts. Cézanne conserve de "l'humble et colossal Pissarro" une profonde estime et reconnait sa dette en disant de lui : "Ce fut un père pour moi. C'était un homme à consulter et quelque chose comme le Bon Dieu". Voir l'article http://www.lexpress.fr/culture/art-plastique/c-eacute-zanne-pissarro_482803.html

    Camille Pissarro vers 1900

    De cet apprentissage il se forge un style qui apparait avec "le pont de Maincy" fin 79-80. Dans cette œuvre on voit apparaitre ce qui constitue le langage de Cézanne : une touche hachurée qui structure solidement l’espace tout en respectant la planéité de la toile. En fait, le sujet n’est qu’un prétexte à élaborer un espace pictural, à faire ce qui est pour le peintre une obsession : « du Poussin sur nature », en d’autres termes « un art solide comme l’art des musées ».

    Le pont de Maincy 1879

    1886 année particulièrement dense en évènements. ● Mars : dernière lettre de Cézanne à Zola qui vient de publier « l’œuvre ». Cézanne ne reverra plus Zola. ● Avril : il épouse enfin Hortense Fiquet légalisant une relation de 17 ans longtemps cachée à son père dont est né un fils. ● Octobre : mort du père de Cézanne, l'ancien chapelier reconvertit dans la banque laisse à ses enfants un solide héritage. Cézanne restera à l’abri du besoin. 

     A la fin de sa vie en dehors des nombreux paysages ayant pour sujet la montagne Sainte-Victoire, ce sont ces grandes compositions des « baigneuses » qui vont l’occuper. C’est un jeune étudiant de 27 ans, Ambroise Vollard qui va l’exposer en 1895 avec 150 œuvres présentées et ce sera un succès.   Notons que cette exposition Cézanne organisée par Vollard marque un tournant dans le marché de l’art. Personne jusqu’alors n’avait mesuré le génie du peintre d’Aix. Désormais le règne des galeristes va supplanter celui des salons et des institutions officielles.Ambroise Vollard par Cézanne 1899

    A part Pissarro qui n’a jamais douté de lui, ces anciens amis, qui l’avaient oublié le redécouvrent. Pour de nombreux jeunes artistes (Emile Bernard, Charles Camoin, Maurice Denis…), il devient la référence et on vient le voir à Aix. Cézanne se méfie du succès. Il redoute qu’on le récupère qu’on lui mette « le grappin dessus » selon son expression. Il a conscience de son art et de l’objectif qu’il souhaite atteindre. « Je vous dois la vérité en peinture et je vous la direz. »

    La reconnaissance tardive n'empêche pas Cézanne de terminer sa vie dans une solitude quasi monastique. La peinture moderne et particulièrement les nouveaux courants picturaux et pas seulement le cubisme, sont dans le prolongement direct des découvertes de Cézanne. Ce qui fera dire à Picasso : « Cézanne, notre père à tous »

     Portrait de Cézanne par Mary Cassatt relaté par Raymond Jean dans son livre « Vie de Paul Cézanne » p284 ed.Arléa 2000                 Cézanne a rendu visite à Monet à Giverny. A une des ses occasions la rencontre à l’auberge du village de l’artiste américaine Mary Cassatt donne lieu à un portrait particulièrement contrasté et vivant de Paul Cézanne.

    « Il ressemble à la description d'un Méridional par Daudet. Quand je l'ai vu pour la première fais, il me fit l'impression d'une espèce de brigand (a cut-throat, un coupeur de gorge) avec des yeux larges et rouges à fleur de tête, qui lui donnaient un air féroce, encore augmenté par une barbiche pointue, presque grise, et une façon de parler si violente qu'il faisait littérale­ment résonner la vaisselle. J'ai découvert par la suite que je m'étais laissé tromper par les apparences car, loin d'être féroce, il a le tempérament le plus doux possible, comme un enfant...

    De prime abord, ses manières m'ont surprise. Il gratte son assiette de soupe, puis la soulève et fait couler les dernières gouttes dans sa cuillère ; il prend même sa côtelette dans ses doigts, arrachant la viande de l'os. Il mange avec son couteau et, de cet instru­ment qu'il saisit fermement au début du repas et qu'il ne lâche qu'en se levant de table, il accompagne cha­que geste, chaque mouvement de sa main. Pourtant, en dépit de ce mépris total du code des bonnes ma­nières, il fait montre à notre égard d'une politesse qu'aucun des autres hommes, ici, n'aurait eue. Il ne permettra jamais à Louise de le servir avant nous, dans l'ordre dans lequel nous sommes assis à table ; il se montre même déférent envers cette stupide bonne, et il enlève la calotte dont il protège son crâne chauve dès qu'il entre dans la pièce...

    La conversation au déjeuner et au dîner se tourne principalement vers l'art et la cuisine. Cézanne est un des artistes les plus libéraux que j'aie jamais vus. Il commence chaque phrase par "Pour moi, c'est ainsi", mais il admet que d'autres puissent être tout aussi honnêtes et véridiques envers la nature, selon leurs convictions. Il ne pense pas que tout le monde doive voir de la même manière. »

    Cézanne autoportait 1875

    Et enfin citons ce passage de Rainer Maria Rilke (traduction Philippe Jaccottet) des "Lettres sur Cézanne" ed. Seuil : "Tu te souviens sûrement du passage des Cahiers de Malte Laurids où il est question de Baudelaire et de son poème "La charogne". J'en suis arrivé à penser que, sans ce poème, l'évolution vers le langage objectif que nous croyons reconnaître maintenant en Cézanne n'aurait jamais pu commencer ; il fallait d'abord qu'il fût là impitoyable. (...) Tu jugeras de mon émotion en apprenant que Cézanne dans ses dernières années, savait encore par cœur et pouvait réciter sans en omettre un mot justement ce poème "La charogne" de Baudelaire.

    Pour compléter ce portrait, il serait bon d'insister sur la culture classique de Cézanne qui récite des vers d'Homère et de Virgile avec ses amis Emile Zola et Baptistin Baille  et qui émaille ses correspondances de citations latines. 

    « La photographie et les peintres au XIX°Intitulés des rencontres 1°semestre 2011 »

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